Napoléon, vu par Abel Gance
Laura Vichi, notre chère professeure d’Histoire du cinéma, nous avait fortement conseillé d’aller voir le Napoléon d’Abel Gance, projeté en septembre au cinéma La Cascade à Martigues.
Malheureusement, je n’ai pu m’y rendre. Mais j’ai pu profiter d’une séance de rattrapage organisée par le Ciné-club de Montereau en Seine et Marne. Je me suis donc faufilée parmi les adhérents dans cette très belle salle rénovée du cinéma Confluences à Varennes. Grands sièges inclinables et espace conséquent pour allonger les jambes. Tous ces détails sont importants lorsque l’on sait que le film d’Abel Gance dure plus de sept heures. La diffusion s’est faite en deux parties sur deux vendredis avec des séances à 20h. Le temps de présenter le film, d’organiser un arrêt pour une visite des lieux d’aisance (bizarrement, il y avait foule aux toilettes hommes…), de se ravitailler en popcorn et autres, le retour à la maison n’a pu se faire que vers minuit trente. Il en faut du courage pour affronter les deux parties de ce film monumental.
Difficile de convaincre qui que ce soit d’assister à une projection de presque quatre heures (quoique la version longue du Seigneur des Anneaux n’est pas mal non plus… mais je m’égare…), d’un film en noir et blanc, muet et tourné en 1927. 1927 !!!! Tout au long de la projection, je me suis répété cette date. 1927 ! La fin de la période du cinéma muet et l’avènement du cinéma parlant avec « Le chanteur de jazz » réalisé par Alan Crosland. 1927 ! Mais quelle récompense ! Quelle merveille ! Que de trouvailles cinématographiques, techniques ! Il fallait inventer, innover, oser. Le défi était immense. Abel Gance l’a réalisé.
La version de 2024 est une version restaurée, retrouvée, remaniée comme l’avait décidé Abel Gance d’après ses notes qui se trouvent à la Cinémathèque française.
Première partie
Tout commence avec une bataille de boules de neige. Dit comme ça… Mais on y voit d’entrée tout le génie d’Abel Gance, la maîtrise du mouvement, la beauté du noir et blanc, ainsi que la découverte du jeune Napoléon Bonaparte, moqué par ses camarades pour ses origines corses, mais d’une ténacité, d’un courage et déjà fin stratège. Tout débute donc avec son enfance à l’école de Brienne puis son retour en Corse au sein de sa nombreuse famille. Ce sera aussi la fuite de la Corse à bord d’une barque ayant pour seule voile, un drapeau volé qu’il promet de ramener. Cette fuite est d’une beauté extraordinaire, les cavalcades filmées au cœur de l’action, les caméras situées à dos de cheval, le maquis sublimé avec des poursuites à chevaux au loin… 1927 ! Il faut se le rappeler tout au long du film ! Pas d’effets spéciaux numériques, pas de drones…
Et puis, nous assistons à la rencontre du jeune Napoléon Bonaparte avec Danton, Robespierre et tous les acteurs de la Révolution française. Le passage de l’adoption de La Marseillaise comme hymne révolutionnaire nous rappelle avec émotion la force du texte. La bande son (orchestre et chanteur lyrique) rend la scène encore plus saisissante. Après maintes péripéties, la première partie s’achèvera avec le siège de Toulon.
Certes les scènes sont longues, parfois très très longues, notamment le siège de Toulon tourné de nuit sous des trombes d’eau qui dure pratiquement une heure. Il faut s’accrocher surtout à 23h30 …. Mais on ne peut qu’être submergé par la violence qui se dégage de cette bataille.
Deuxième partie
Cette partie nous conte les journées du Thermidor et de Vendémiaire durant lesquelles Napoléon Bonaparte devient général d’infanterie, son mariage avec Joséphine de Beauharnais et le début de la première campagne d’Italie. Trois scènes sont mémorables : le bal des victimes qui a réellement existé ; Napoléon et les fantômes de Danton, Robespierre, Saint-Just, entre autres, lui rappelant son devoir envers la France et son héritage de la Révolution et bien sûr la dernière scène représentant le début de la première campagne d’Italie, filmé avec un procédé tout à fait innovant, baptisé « polyvision ». Il s’agissait de filmer avec trois caméras par juxtaposition, ce qui donnait une très grande largeur d’image qui devait être diffusée sur trois écrans, ceci afin de renforcer l’ampleur de l’effet « bataille ». Ce procédé servait aussi à mettre en place un récit en trois images différentes montées simultanément. Par exemple, on imagine ce que pense Napoléon et les dilemmes auxquels il est confronté.
Il faut revivre ce film, le décortiquer scène après scène, y revoir la beauté des visages, leur expression, la mise en scène de tableaux humains… Il y a tant à dire. Alors, il est vrai que certaines scènes par leur longueur peuvent apparaître un tantinet ennuyeuses, il ne faut pas se le cacher, mais c’est un vrai chef d’œuvre !
Alors, prenons le temps de regarder, de se délecter des moindres détails ! C’est une véritable leçon de cinéma que nous donne encore aujourd’hui Abel Gance. Petit rappel : le film a été diffusé à la télévision le 22 novembre 2024. Il est disponible sur France TV jusqu’au 23 décembre 2024. Catherine Bixquert